L'UTMB de l'intérieur

Le témoignage d'un accompagnateur

“Putain ça remonte, ras le cul”.

Le silence est rompu dans le petit train de trailers. Aucun des cinq ne le conteste, cette montée impromptue de 400m avant l’arrivée à Argentière fait mal, et bien plus. Je marche, avec mon matériel photo, et je n’ai pas de problème à suivre ces sportifs très entrainés qui en temps normal peuvent courir un marathon en 3h30 et en parlant. C’est dire leur fatigue.

L'UTMB de l'intérieur

Je venais de passer la nuit à suivre et à prendre les leaders en photo (photos de l’UTMB), puis après l’arrivée des 3 premiers, je m’accordais une heure voire un peu plus de sommeil. Je voulais être là pour accueillir Olivier à la gare de Plan Praz pour l’encourager, je n’avais pas eu l’occasion de le voir depuis le départ la veille au soir.

Il finit par arriver. Tout de suite, je vois qu’il est plus marqué qu‘à l’habitude. Alors qu’il devrait au moins sourire en me voyant, son visage est fermé, les trais tirés. Il marche alors que le sentier est en légère descente.


Après une nuit complète dans la boue et sous la pluie

Moi : “Ca va?”
Pas de réponse
Moi : “Ba Alors?”
Lui : “Je crois que je vais arrêter”
Je suis très surpris, je n’y crois pas.
“Teu teu teu, non mais tu rigoles ou quoi”
Il ne répond pas, et très clairement cela ne le fait pas rire.

Après quelques discussions, la soupe chaude du ravito, et les forces prises auprès de sa famille venue le soutenir, il décide finalement de continuer. Et moi avec lui pour l’encourager si c’est encore possible.

Il est 11h lorsque nous quittons la gare de Plan Praz. Je me retrouve ainsi sur une vingtaine de kilomètres au cœur de l’UTMB avec les coureurs.

Olivier vient déjà de courir une quinzaine d’heures et sort d’une nuit complète de pluie et de neige sur la première partie de la course. L‘état de ses jambes et de ses chaussures le montre. Il a particulièrement mal aux pieds dans les descentes et son visage se crispe à chaque pas. Je comprends qu‘à ce moment il n’y a plus de plaisir, que le coureur ne pense plus qu‘à une seule chose : en finir.


Le train silencieux des trailers

La plupart du temps nous marchons dans un groupe avec d’autres coureurs, très rarement l’un deux s‘échappe en trottant dans une descente. Le plus impressionnant est le calme de la marche, telle une procession contrainte ou personne n’a le choix, parler ne sert à rien. De toute manière il n’y a rien à dire.

Cela dure des heures semble t-il, les virages s’enchainent, la position est la même. J’accélère parfois le rythme pour quelques photos, puis les regarde me dépasser en m’arrêtant sur le bord. Je vois ainsi que je suis invisible. Dans leur esprit sans doute, cette ligne d’arrivée mentale qui les motive encore un peu.


Le train silencieux des trailers

Parfois, l’un deux jure et joue le rôle de soupape “Qu’est-ce que je fou là”.
Un autre motive le groupe d’un fort “Allez les gars”. Je suis totalement impressionné par l’ambiance dans ce groupe, c’est un peloton en plein combat.

Sur le bord du chemin, quelques passants tentent des encouragements, mais les commentaires émis quelques mètres plus loin montrent que les protagonistes sont le plus souvent à bout.

“Allez, ya une bientôt une descente” -> “Putain mais j’en ai marre des descentes”
“Allez, c’est bientôt la fin” ->“Vas-y toi je voudrais bien t’y voir”
“Allez, t’es un guerrier” ->“Non mais de quoi tu me parles”
Seuls les modestes “bravo” ou “courage”, en simples témoignages amicaux, semblent faire leur effet aux sourires de remerciement qu’ils suscitent parfois en retour.


Lorsqu’on avance au mental

Nous arriverons 7h plus tard à Chamonix.
Quelques jours plus tard, Olivier perdra les ongles de ses deux gros orteils. Je lui dis :
“Ah oui quand même, tu devais pas rigoler sur la fin”.
“Ba oui qu’est-ce que t’as cru”.