Les Robinsons des Glaces
Je reprends ici les mots des Robinsons des Glaces, parés pour le départ de la Grande Dérive 2010: souhaitez-leur bonne chance !
Le repérage du mois de juin est terminé. Le but était de visualiser la configuration des glaces, de tester du matériel, et de se préparer physiquement au périple plus engagé de la «grande dérive». Demain, nous nous lançons vers les glaces et nous nous installons sur elles pour plus d’un mois… ça va être “chaud” ! La tension monte, chaque détail doit être vérifié, les préparatifs battent leur plein…
Notre repérage de juin a été déjà riche en péripéties. D’abord, une tempête monstrueuse venant du nord-est nous a cloués au fond d’une crique pendant près de 48 heures. Tentes malmenées, nuits agitées… Le brouillard épais et la houle ont ensuite sérieusement compliqué la navigation, et enfin les glaces. Omniprésentes, il n’était pas toujours possible de les contourner, et il fallut les accoster pour les franchir dès le premier jour. Quelques temps après, nous nous retrouvions bloqués dans un goulet par le pack, et nous avons dû débarquer très vite sur une plaque pour échapper à l’écrasement.
Le temps s’est stabilisé depuis quelques jours, laissant espérer une Grande dérive moins tumultueuse, du moins au début. Seulement, voilà : les conditions d’englacement ne sont pas très bonnes. Beaucoup, beaucoup de glaces flottantes. Signe que le climat reste froid, me direz vous. Eh bien non ! C’est exactement le contraire. La banquise qui descend le long du Groenland s’est formée sur l’océan glacial arctique. Son abondance signifie que les glaces polaires, plutôt que de se maintenir plus au nord grâce au froid, se désagrègent en masse et se laissent disperser sans résistance.
Autre indice de réchauffement : la plaques sont minces. Trois à quatre mètres en moyenne, et leur surface est très modeste. L’année dernière, nous trouvions facilement des plaques de 1000 mètres carrés. Cette année, impossible. Les banquises sont très désagrégées, avec beaucoup de petits débris de glace. La banquise devrait être plus épaisse et moins en miettes. Ces signes ne sont pas de bon augure ni pour le climat ni pour la dérive que nous préparons !
Aucun bateau n’est en mesure de nous mener plus au nord, à proximité de la côte de Blosseville d’où nous aurions aimé partir. Rien dans ces secteurs n’est navigable. Alors nous nous laisserons dériver directement vers le sud, sans faire de nord au préalable. Notre radeau de glace ne fondra que plus vite… Encore faut-il en dénicher un de suffisamment spacieux pour nous accueillir ! Il doit avoir une surface de 400 mètres carrés au minium. Plus petit, nous risquerions d’être balayés par les vagues en cas de tempête ou de forte houle.
L’incertitude demeure, donc. Pour les glaces polaires comme pour nous. Cette aventure que nous avons choisie ne fait-elle pas écho à celle du monde ? Notre situation collective n’est guère plus confortable que notre position de Robinsons ! Ici, sur notre morceau de glace, impossible de se voiler la face: notre situation est visiblement précaire. On sait désormais que si nous ne préservons pas le froid autour des pôles et ne ménageons pas les équilibres naturels, la précarité pourrait devenir le lot quotidien où que l’on vive sur Terre.
Demain, donc, c’est le grand jour. L’ambiance est excellente, nous nous préparons en particulier à filmer l’aventure : nous disposons de quatre caméras – une par personne – et comptons bien témoigner de ce qui va se passer. Nous devrons êtres vigilants pour tout. Et nous adapter à tout, pour faire face aux changements : la plaque va perdre en épaisseur, se briser, dériver on ne sait où… A nous de créer notre sécurité et d’inventer notre micro société sur ce tout petit espace soumis aux seules forces de la nature. Nous vous donnerons des nouvelles au fil de ce blog. Ce sera le feuilleton de l’été.
A très vite, donc, en direct d’un radeau de glace ! Et merci à vous tous, amis, passionnés et journalistes qui soutenez et relayez notre démarche.